CORROSION OF CONFORMITY : SUR LA PISTE DU « TOUR SAMPLER »
Enquête sur une cassette muette depuis 1995

Il y a peu de temps, je feuilletais ma collection musicale comme l’on tourne les pages d’un vieux journal intime oublié. Et là, la morsure de la nostalgie : plusieurs morceaux de mon histoire avaient disparu au fil des déménagements. Je pensais alors simplement à compléter ma collection.

Tout a commencé avec une interrogation sur un morceau manquant de ma collection : Corrosion Of Conformity. Dans un coin numérique que personne ne regardait. Une cassette étrange. « Tour Sampler ». Scellée. Intacte depuis trois décennies. Elle semblait me fixer, et mon cœur s’emballa comme un véritable coup de foudre. Ma curiosité dépassa mon porte-monnaie. Je ne réalisais pas une seconde qu’une simple recherche sur Internet allait rapidement me plonger dans une véritable enquête à travers le temps et sur la route d’un groupe mythique…

Je ne savais pas encore que son silence allait rugir plus fort que n’importe quelle note de sa musique.

Premiers indices : un sticker venu du sud californien

La découverte a éveillé mon enquêteur interne. Qu’était-ce donc qu’un « Tour Sampler » ? Je comprends rapidement, après une première recherche, qu’il ne s’agissait pas d’une cassette audio ordinaire. C’était un véritable outil promotionnel, tout droit sorti de 1995. Utilisé à l’époque pour accompagner une tournée et/ou soutenir la sortie d’un album. Un objet hybride, à mi-chemin entre promotion commerciale et souvenir de route.

Le sticker blanc, en son dos et jauni par le temps, attire mon œil.
« Pick up C.O.C’s Deliverance, Blind and Technocracy on CD/cassette sale priced »
Cette information est accompagnée de plusieurs adresses qui guident alors mes recherches vers un trio de magasins disparus dans le sud de la Californie : Rancho Cucamonga, Claremont et Upland, dans la banlieue de Los Angeles.

Il y a surtout cette date butoir : « Offer expires 2/14/95 » sur ce simple autocollant, qui deviendrait ma boussole temporelle. Le 14 février 1995 allait marquer le point de départ d’une enquête à travers les couloirs du temps.

L’hypothèse radio mise à l’épreuve

Au départ, j’ai cru tenir entre les mains une cassette radio. J’ai découvert, avec mes recherches sur cet objet, que les samplers servaient surtout à alimenter les playlists des bandes FM. Pourtant, tout semblait étrange. Les détails ne correspondaient pas exactement.

Aucune mention légale « For Radio Play Only ». Aucun code de diffusion. Aucune mention de station. Au contraire : des adresses de disquaires locaux, un appel à l’achat et une offre limitée dans le temps.

Les promos radio de l’époque étaient souvent brutes et techniques, avec des durées précises indiquées. Au contraire, celle-ci est colorée et graphique, comme un véritable produit vitrine de retail et de tournée.

Son silence depuis 1995 me confirme alors qu’elle n’avait jamais quitté son rôle originel et sa mission depuis sa création. Une capsule du temps figée. Mais pourquoi avait-elle traversé tant d’années intacte ?

La tournée devenue légendaire

Je savais pourtant que Corrosion Of Conformity, qui possède une place spéciale dans mon cœur, avait connu un véritable tournant au milieu des années 90. Les découvertes que j’allais faire sur l’histoire du groupe durant mes recherches me laisseraient pourtant d’autant plus admiratif.

Au fil de mes recherches, je découvre qu’en 1995, sans longues périodes de pause, le groupe sillonne les routes dans une tournée devenue aujourd’hui légendaire. C’est en compagnie de monstres sacrés du metal comme Megadeth, Monster Magnet et même Metallica que le groupe partagera l’affiche à travers le monde durant cette période charnière de son histoire.

La tournée de début 1995, en première partie de Megadeth, attire alors particulièrement mon attention, puisqu’elle passe respectivement par San Bernardino le 24 et Los Angeles le 25 février. La provenance de cette cassette se dessine alors peu à peu sous mes yeux, puisque seulement quelques dizaines de kilomètres séparent les adresses du sticker des salles.

Si ma première piste des radios locales proches des adresses sur le sticker semble être bonne, elle est compromise par le format de cette cassette. Une découverte, après un échange surprenant avec le vendeur originaire d’Italie, me guiderait alors sur une autre piste…

Une cassette voyageuse

Le vendeur italien me confie un détail inattendu : il avait trouvé la cassette à Seattle, plus précisément chez Daybreak Records en 2016. Une date surprenante, un lieu inattendu, un peu plus de vingt et un ans après les premières conclusions de ma recherche.

Fait encore plus troublant lors de cet échange : il me confie être un proche de Pepper Keenan et des membres de Corrosion Of Conformity, un habitué de la scène stoner, à la fois aux États-Unis mais aussi dans son pays, l’Italie. Un inconnu échangeant avec moi sous le pseudo de « mafiatees666 ».

Comment un objet promotionnel destiné au sud de la Californie a-t-il voyagé 1800 kilomètres au nord ?
L’explication s’impose peu à peu à moi lorsque je découvre qu’à l’été 1995, le groupe se produit avec Monster Magnet au Moore Theatre de Seattle, marquant par la même occasion la seule et unique date du groupe dans cette ville pour cette année 1995.

Je comprends alors que ce sticker au dos dessine le trajet parfait d’un objet comme celui-ci, authentique et comme dernier vestige d’une époque où le merchandising se faisait encore de main à main. Je comprends alors que cet exemplaire du Tour Sampler a probablement voyagé avec le groupe sur la côte ouest américaine. Vendu, offert ou échangé à la table du merchandising pendant la tournée.

Un véritable fragment d’histoire du stoner

La date butoir sur le sticker, cette porte d’entrée digne de Retour vers le futur, le 14 février 1995. Elle correspond exactement à une dizaine de jours avant les dates californiennes. Les distances sont concordantes. Autrement dit, ce « Tour Sampler » date du lancement de l’année légendaire de la tournée Deliverance, qui ferait basculer le groupe du culte underground à la reconnaissance internationale.

Au fur et à mesure de mes recherches, je comprends que chaque détail concorde parfaitement. Le pressage Columbia/Sony – CAT6832. La mention Tour Sampler. Les dates de la tournée et de la promo ainsi que les adresses. Tout cela forme une trajectoire claire, précise.

La cassette, produite à Los Angeles – distribuée en Californie du Sud – transportée sur la tournée – puis disparue pendant vingt et un ans pour réapparaître au nord-ouest des États-Unis.

Silence et mystère

Aujourd’hui, trois décennies plus tard, elle reste scellée. Jamais ouverte. Elle attend, avec patience, fidèle à sa mission originelle. Par son mutisme, elle raconte une histoire. L’histoire de son voyage, de Los Angeles à Seattle. Son arrivée en Europe avant de disparaître presque neuf longues années dans une collection en Italie. Elle raconte l’histoire d’un groupe, d’une époque révolue, et celle de collectionneurs refusant de l’oublier.

Et quelque part, dans ses bandes et son sticker jaunissant, elle garde le secret de ses premiers propriétaires. Un mystère que seule l’histoire pourra préserver.

Cette cassette nous raconte tout le reste qui n’a pas besoin de l’être par son mutisme.
La route. Les disquaires. Les concerts.
Le parfum du stoner metal des années 90.

Elle reste muette comme un fragment du temps capturé, venu d’une tournée où tout semblait encore possible.

Au final, cette cassette n’est-elle pas l’histoire de cette musique et de cette culture stoner, comme une capsule temporelle restée scellée ?
Prête à rejouer 1995 pour ouvrir une porte vers le passé, lorsqu’on osera la faire rugir dans le futur.